Claude & Lu Pelieu ///-- fragments from a love story
from Un Amour de Beatnik by Lu Pélieu
POSTE RESTANTE
Rue Danton
19 janvier 1963 –jeudi, heure 0
Nash… Je sais que tu n’es pas encore partie mais je commence cette lettre et me presse de t’envoyer les doubles des manuscrits. Il ne manquera qu’une dizaine de pages de l’Echancrure, tu pourras lire tout ça, voir un peu et surtout fouiller pour les faits. Je vais présenter ça à A. via Nadeau teuf teuf. Qu’est-ce qu’il va se passer? Je ne te cache pas mon inquiétude avec ces gardiens de square, ma méthode d’écriture pas possible, recollage-découpage, bribes, simultanéités, surtout dans les deux derniers trucs, bien libérés je crois! [ --- ]
Je t’écris tête reposée. Je ne sais pour le bateau, pas été, trop froid, neige, argent et surtout blues… Coeur-joie-la-traîne… Je vais voir si je peux partir quelque part et trouver de l’argent… Requiem pour un drag’man. Nase tout Paris… Comme je t’aime sale Nash en plein ciel shoot photo fumée… [ --- ]
Vendredi soir. J’ai pas la tête reposée. Je travaille sec à Les Nus et les Morts, texte repère témoin rétrospection, illisible comme le reste pour ceux qui n’ont pas l’encre à stylo supersonique… J’ai fais aussi un grand tour dans une forêt que je ne reconnais plus, très froid, ciel plein d’étoiles fanées… bu un peu de rhum pour me chauffer… horreur du rhum mais ce froid raide, vent nord, pas possible. Je pense que tu es bien, que bientôt tu m’écriras… et même, tu viendras peut-être? [ --- ]
21 janvier 1963
… Je n’arrive pas à écrire comme je veux ces temps ci, trop préoccupé, trop entamé par les tristesses... J’ai la main dans le coeur de la nuit suivante, dans le flanc de l’oeil, j’en suis à me traîner dans les langues tordues des Nus des Morts Paris-Surface, un truc explosif mais les mots me narguent. Tu y deviens Môme YeuxVerts Jucy Fruit… [ --- ]
3/58
Paris, mercredi 24 janvier
Yeux Verts… Suis passé poste restante tantôt, une lettre de toi, une lettre que je lis et relis… Mon petit criss-craft plein d’odeurs tendres, je t’aime! Je ne sais plus au juste ce que je fais, ça et là je vais viens et j’attends, je t’attends ma tête blonde, et cette photo que tu n’aurais jamais dû me donner... Belle femme chienne des nuits lourdes tu me tues… [ --- ]
Tu as lu l’Echancrure. J’avais peur que certaines choses te choquent. Merci Crâne d’être entré dans ce truc au delà des mots. Comme je t’aime encore à cause de ça, personne désormais ne pourra comprendre quelque chose à nous deux, à notre semblance, à nos nerfs agrippés au sang, à nos corps mesurés. Leurs digues sont faibles, ils ont perdu à nos yeux, si vulnérables même que nous sommes. C’est eux qui nous ont eu par la bande…
Mon Petit Salaud, depuis le soir où nous sommes restés ensemble j’ai quitté Paris, préférant me réfugier quelques temps chez ma soeur plutôt que d’être livré aux grognasses, aux cons, à tout ce qui me démoli... Pardonne moi cette entrée fracassante, imprudente, et ces phrases confuses.
4/58
Yeux verts, photo ombre de mon propre pas, corps châtaigne claire que j’adore et que je ne quitterai plus, photo tombée dans la neige d’aujourd’hui, fraîche comme ta langue que remue le silence dans ma paûme…
Mon amour amande délivrée, ceinture de chaleur ouverte près de moi, la nuit me pousse à t’aimer comme ça en distance, par télésens. Amour je te jure, depuis ce soir Hi-Fi pour toujours, même si tu ne reviens jamais. C’est trop maintenant, TU MARCHES SUR MON CLAVIER MISTERIOSO.
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UN AMOUR DE BEATNIK
Lettres d’Amérique
Samedi 19 Novembre 1963
Lettre-océan
Nash, je vogue au large des Açores via les Bermudes!… Magnifique océan, le bleu agresse jusqu’au fond des yeux. Encore quelques escales et 16 jours de mer. J’attends le Pacifique, la West Coast. Je vais longuement t’écrire plus tard… pour l’instant je ne pourrais faire qu’un pâle reportage, je ne peux fixer avec les mots ce grand Shoot… Il me faut reprendre un rythme… L’Europe est loin derrière, très loin, ne sais pas encore comment dire, l’impression nette de claquer très fort une porte dans mon dos! L’univers titube, l’air vif qui vide, cet immense miroir bleu dur qui lave de bas en haut… Je t’embrasse, Love…
30 Novembre 1963
Je voulais savoir, c’est toute inquiétude soudaine… Mes lettres ne sont pas des lettres, même pas des télégrammes, tout ça se déroule à la frontière de deux mondes. Tant pis! Les expériences récentes me prouvent que tu es –vous êtes– du côté de la vie, moi pas. Déplorable, malade, shooté, Oui… C’est ainsi et il y a bien sûrement quelque chose qui ne va pas! [ --- ]
San Francisco, 14 février 1964
Lula! Hier c’était le “nouvel an chinois.” Chinatown illuminée plus que jamais, bouillonnant de feux d’artifices, d’explosions –danses frénétiques, gens absolument dingues, touristes, poupées géantes marrantes ravissantes monstrueuses– dragons géants dévalant les rues, effroyables, grotesques! Les asiates en goguette étaient en pleine carapate, quelques chinoises très belles déliraient dans le Chanel 5… J’ai fait un reportage couleur que je devais t’envoyer, mais fatigue erreur ou légère ivresse j’ai tout loupé et ça ne dure qu’un jour ce truc!… Je t’envoies la maquette-couverture de mon livre Automatic-Pilot et un truc
collé pour la St-Valentin d’un humour plus que douteux… Il faut absolument que je me démerde pour refaire mes cinq enregistrements de poésie hurlée. Envapé, j’ai tout bousillé, tout effacé bêtement, par distraction… Là, j’ai hurlé à mort aux vents d’Ouest! [ --- ]
De France, à part toi ma Blanche fleur, je ne reçois que quelques nouvelles par Dominique. Il m’a filé carton blanc pour adaptation présentation et traduction du Cahier Céline. L’as-tu? J’ai balancé un texte grossier, violent, méchant… Lula, est-ce que Laffe est en forme? Est-ce qu’il a toujours merdier et dislocations? Est-ce qu’il rejoue un peu? Ici le jazz moderne se porte bien. Ornette a ouvert très grand. Après Monk, il était temps! et Rollin! Mingus! C’est ici, ce n’est possible qu’ici! [ --- ]
Peut-être ferai-je le tour complet, l’Extrême-Orient, mais où atterrir après?… l’Europe, cette merde atroce médiévale pire que tout… je les évite ici, chaque fois que j’entends parler français je fous le camp ou je suis vachement désagréable… Paris capitale des Bô Arts, terminé! Ici tu serais très malheureuse, pas du tout à ton aise, complètement dépaysée. Si je prends mon vol un de ces quatre je me demande bien ce qui se passera…où aller? Nulle part… Je sais que tu ne peux te passer de l’Hexagone…Merde, il faut en sortir!… Je pense aux mecs qui ne bougent jamais, terrifiant ça! il le faut pourtant, mais à quel prix de secouettes…
J’aime tes lettres, même courtes, et chaque fois je suis bien triste… Mary me dit chaque fois “mais con, retourne avec Lula! vraiment quel sale con tu es! cinglé! bizarre! cacahuète!”… alors tout se brouille, je me défonce un peu plus, les mecs me ramènent en voiture, et ça recommence, et ça me fait chier, et je ne sais pas, je ne sais plus… Je me demande pourquoi je te raconte tout ça, comme ça, bêtement… Ecris-moi vite Crapougne… t’embrasse Yeux-Verts… t’aime, ’tit’ Môme… [ --- ]
Nash, je ne peux pas t’envoyer d’argent –4 ou 5$ ne serviraient à rien– juste frais d’envoi, je n’ai plus rien depuis belle heure… Je ne sais pas quand on va me payer le reste de ce livre, j’attends toujours un autre contrat (New Directions me prend un truc pour son anthologie Beat) et puis Ferlinghetti va se démerder avec Grove Press pour moi… J’ai une chambre chez Mary… je bouffe, je bois, je suis invité partout, reçu, gavé, écouté, adulé… mais ma vague est vachement vide et je ne peux plus emprunter à Mary… Je vis reçu totalement mais sans un vrai sou… Si je peux pour toi, si un jour j’en ai, je t’en donne, évidemment!… Ca me cafarde le cul de te savoir comme ça!…je pense un jour te prendre au vol…
et puis je ne sais pas comment faire pour tout ça... Lula, ma lettre est conne aujourd’hui, vachement... pardonne!... pas de punition à ma lèvre commissure... Je t’embrasse mon amour dingue…
San Francisco, 1er mars 1964
Lula, je suis furieux de t’avoir envoyé cette lettre imbécile
samedi mais je suis un peu secoué pour l’instant…dimanche, midi… tu dois être au lit… il pleut pour la première fois depuis 1 mois ½. Vent d’Ouest terrible + vent du désert Arizona. Je vais tout-à-l’heure voir le Pacifique et rêvasser un peu.
Je sors du lit suintant la vodka… Hier soir, Jazz au Workshop et au Tiki’s Bay, orgue guitare drums et un quintet extra. Monk. Thelonius Sphère Monk. Jazz Be-Bop and Beyond. Je lis et j’écris américain mais mon accent est épouvantable, les gens me croient finlandais!… De toute façon je parle peu, comme mon ami Floyd l’indien… ça va? O.K. Ou allez-vous? Hugh. Comment? Yop. Right. Et voilà.
Alors comme ça tu pars en Espagne? Sois bien sage avec les sales picadors, les bites de toréros ça gratte! Demain je t’envoie une lettre pleine de collages, par bateau car je n’ai pas de sous. Je n’ai pu te mettre que les plus petits et ce ne sont pas les meilleurs. Les grands sont plus intéressants mais la douane et surtout l’esprit des trucs me feraient virer illico. Ils ne sont pas emmerdants avec les étrangers mais avec ce que j’écris (ah ah môssieur! communiste narcotique débauché !…) Je vais essayer de me rapprocher sinon me fixer à New-York. Mais là, obstacle, climat terrible, expansion du petit sou…
il ne faut pas être pauvre! Et les gens là-bas n’ont pas le temps de soigner les “poètes”… De l’autre côté du mur de ma chambre il y a une église baptiste chinoise et chaque jour de 8 à 15 heures un mec joue de l’orgue, chaque jour, chaque fois la même chose dans un ordre fulgurant… J’écoute ça en attendant de pouvoir m’emplir de bop…
Il faut que tu te soleilles ma Lula, quitte un peu ce drame ambiant gris… Où aller? Je me rends compte que je n’aime rien, ni la ville ni la campagne… j’aime le futur de la ville, le côté Science, et la mer, les grands arbres… les Redwoods ici ont 4 et 5.000 ans, 300 ou 400 mètres de haut vers Mill-Valley et les voitures passent dans leurs tunnels naturels racines-troncs… les ponts suspendus sont extravagants, sur les cartes on ne se rend pas compte… Ah, où aller?… Il n’y aurait vraiment que la Bretagne mais sur le bord de grève à 20 mètres de l’océan, pas ailleurs… C’est pour ça que je voudrais tout imprimer ici. Si je pouvais nom de dieu avoir du fric, du vrai fric, merdieu ! J’ai les cartes de toutes les contrées traversées et une de France où j’ai cerné la Bretagne au gros crayon et entouré d’un cercle les endroits les plus vrais, Carnac, Roscoff… Tu viendrais avec moi? Je te battrai chaque matin pour te montrer qui est le chef… !
Buuhhh mon Lu!… Je vais envoyer une petite carte chinoise à ta mère pour soigner l’héritage. Je fais cela avec toute l’hérédité, on ne sait jamais… des magots, du pognon, des terres… ah Bast! je ne pense qu’à ça!… je suis obsédé par le C.C.P., j’en ai plein le cul de jouer l’artiste, d’être raide… Ah Oui, on me baffre, me vêt, m’abreuve, me spectacle, congratule, m’aime etc… mais mordieu! Ces christs là ne savent pas que je t’adore saloperie… de plus en plus… J’ai pris hier dans un parc national deux petites fleurs qu’on aimait trier dans l’herbe, mains enlacées… elles seront bien fanées quand tu recevras cette lettre mais on ne peut pas envoyer de lettres bourrées de trucs marrants dans ce pays… Il pleut fort, pour toujours il semble, grosse pluie droite, rafales de vent d’Ouest… Je ne vois plus la ville de ma fenêtre, je vais sortir un brin sous l’eau… A bientôt, je te serre fort ma Krakrène… [ --- ]
Lu Pélieu’s Un Amour de Beatnik will be published by Les éditions Non Lieu, “Essais et Correspondance.” See the facebook page “Claude Pélieu et Lula P.” for news and updates. Read the preface here.
Claude Pélieu was a prolific writer of the Beat Generation. He was born in France in 1934, left for the US in 1963, and stayed there until his death in 2002. These are fragments of letters he wrote to Lu Pélieu.
William Burroughs had this to say about him: "Claude Pelieu and I have exchanged letters and manuscripts for some years. I am frequently struck by precise though seemingly coincidental references in his work to what I am writing right now writing which nobody but myself has directly seen. I feel that we are sharing a common source of literary material and a common source of thought, that perhaps all serious writers are in a very real sense united. By serious writers I mean those who have left the concept of art for art’s sake behind and see writing as a weapon with revolvers aimed - voici le temps de l’assassin."
Published in Fingerpainting on Mars 02
September 2011
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